lundi 2 avril 2012

Un temps à écouter du Zazie


Il pleut. Je regarde le ciel nuageux déverser sa tristesse sur une terre encore craquelée par des jours de sécheresse. Le paysage au-delà de ma fenêtre n'est qu'une image barrée de rayures grises, en fond sonore, les grosses gouttes de pluies s'écrasant sur le toit. Je crois que je vais m'évanouir. Non.

Bien que je le veuille de tout mon cœur, je ne pourrai pas m'évanouir. C'est comme ça, c'est dans les gènes. Certains s'effondrent à la vue du sang, d'autres flageolent sous l'effet du trac. Moi, la peur, l'angoisse, la douleur semble me donner des ailes. Ça tient de famille. Une fois au plus bas, on se relève avec un sentiment de toute puissance et de pouvoir écraser, n'importe quoi, ou en occurrence n'importe qui. Mais avant de pouvoir se relever, il faut toucher le fond. Croyez-moi, j'y suis.

J'entends la porte grincer sur ses gonds. Grand-mère entre. Pas une grand-mère comme les autres avec binocles, mouchoirs à carreaux, raclements de gorge, et rhumatismes. Pas ça, Dieu m'en préserve. Mais ma grand-mère. Des cheveux poivre et sel, coupé court. Abonnée aux jeans et aux tee-shirt de chez « ethan grey », très doux, surtout lorsque j'essuierai mes yeux pleins de larmes dessus.

Ma grand-mère...Un corps de 80 balais, une âme de jeunette. Incroyable, mes parents sont plus vieux qu'elle dans leur façon de réagir. Les pauvres, je les plains, si jeunes et pourtant si vieux, si dépassés par les événements.

Grand-mère s'assoit sur mon lit. Elle ne dit rien. Comme d'habitude. Elle sait ce qui va se passer. Je vais me jeter dans ses jupes, ou plutôt sur son jean, et pleurer tout mon saoul, prise de hoquet et de convulsions, comme si j'avais perdu père et mère dans les limbes de l'enfer. Sans qu'elle n'ait ouvert la bouche pour me demander ce qui me prend d'être aussi malheureuse !

Bingo ! Sans plus retenir le flot de la mer morte qui commence à perler sur mon visage, je me jette dans les bras de ma grand-mère, en baragouinant un pitoyable « g'anm'el » saccadé. Bref, comme je sais si bien le faire. Et grand-mère de sa voix calme et rassurante :
  • Allons, allons ! Serait-ce un matin triste ma fille ?

Oui, d'accord. Je le concède. Elle est assez vieux jeu sur le langage. Des fois, si elle entendait mon bavardage mental, je crois qu'elle s'en cognerait la tête contre les murs en hurlant « damnation » ! Après les spasmes de pleurnichements plaintifs et hargneux, au choix, voilà que je m'assois face à mère-grand avec des yeux tout ronds, comme une gamine de six ans. Je me croirais retombée dans l'enfance.
  • Grand-mère...c'est à cause d'un...d'un...
  • D'un homme.
Je replonge dans un sanglotement compulsifs, frôlant l'hystérie. Grand-mère me fixe, la tête légèrement penchée sur le coté. Un mélange de « pauvre petite chose stupide et naïve » et de « je suis là, pour t'écouter pleurnicher sur ton malheureux sort, moi qui ai tant vécu ».
  • Il y a toujours un homme dans l'histoire ma petite. Toujours. Maintenant, il faut passer à autre chose. Il y en aura d'autres.
  • C'est quoi ce conseil...
  • De nos jours, les relations sont de courte durée.
  • Grand-mère ! L'amour, le vrai avec un grand A existe toujours ! Je veux y croire.
  • Tu souffriras. Moi aussi je voulais y croire. Et puis, je me suis fait une raison. Profite ma belle, tu es jeune, intelligente, dynamique. Tu plais énormément. Alors vas-y, fonce. Tu ne vas pas te lamenter sur un idiot, alors que l'arbre est encore plein de fruit mûrs et savoureux.
D'un revers de manche de mon sweat gris, je m'essuie les yeux. Mais où est-ce qu'elle va chercher tout ça ma mère-grand ? Des fruits mûrs et savoureux...je rêve...Belle et dynamique? Là, j'hallucine complètement. Mère-grand a-t-elle encore toute sa tête ? Soudain, une lueur grave passe dans son regard. Je m'arrête de coasser, et reprends mes esprits.
  • La vie est courte ma petite. La majeure partie de la mienne est derrière moi. Toi, tu es encore neuve en ce bas-monde. Tu n'as pas le droit de baisser les bras, et de perdre une miette de ce que tu vis. Sur ce, viens prendre ton petit déjeuner ! Pour une fois que je vous rends visite, tu dois me faire cet honneur !

Il fait gris. Le ciel est couvert. Mais je me sens étrangement calme. Envahie par LA sérénité. C'est un temps à écouter du Zazie. Une atmosphère douce, à la fois chaude et humide. J'apprécie ce petit instant de repos, ce weekend en famille. Alors que lundi, je reprends le boulot. Et oui...du haut de mes trente-deux ans, il m'arrive encore de retomber au niveau d'une toute petite fille pleurant dans les jupes de sa grand-mère.

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