Il
pleut. Je regarde le ciel nuageux déverser sa tristesse sur une
terre encore craquelée par des jours de sécheresse. Le paysage
au-delà de ma fenêtre n'est qu'une image barrée de rayures grises,
en fond sonore, les grosses gouttes de pluies s'écrasant sur le
toit. Je crois que je vais m'évanouir. Non.
Bien
que je le veuille de tout mon cœur, je ne pourrai pas m'évanouir.
C'est comme ça, c'est dans les gènes. Certains s'effondrent à la
vue du sang, d'autres flageolent sous l'effet du trac. Moi, la peur,
l'angoisse, la douleur semble me donner des ailes. Ça tient de
famille. Une fois au plus bas, on se relève avec un sentiment de
toute puissance et de pouvoir écraser, n'importe quoi, ou en
occurrence n'importe qui. Mais avant de pouvoir se relever, il faut
toucher le fond. Croyez-moi, j'y suis.
J'entends
la porte grincer sur ses gonds. Grand-mère entre. Pas une grand-mère
comme les autres avec binocles, mouchoirs à carreaux, raclements de
gorge, et rhumatismes. Pas ça, Dieu m'en préserve. Mais ma
grand-mère. Des cheveux poivre et sel, coupé court. Abonnée aux
jeans et aux tee-shirt de chez « ethan grey », très
doux, surtout lorsque j'essuierai mes yeux pleins de larmes dessus.
Ma
grand-mère...Un corps de 80 balais, une âme de jeunette.
Incroyable, mes parents sont plus vieux qu'elle dans leur façon de
réagir. Les pauvres, je les plains, si jeunes et pourtant si vieux,
si dépassés par les événements.
Grand-mère
s'assoit sur mon lit. Elle ne dit rien. Comme d'habitude. Elle sait
ce qui va se passer. Je vais me jeter dans ses jupes, ou plutôt sur
son jean, et pleurer tout mon saoul, prise de hoquet et de
convulsions, comme si j'avais perdu père et mère dans les limbes de
l'enfer. Sans qu'elle n'ait ouvert la bouche pour me demander ce qui
me prend d'être aussi malheureuse !
Bingo
! Sans plus retenir le flot de la mer morte qui commence à perler
sur mon visage, je me jette dans les bras de ma grand-mère, en
baragouinant un pitoyable « g'anm'el » saccadé. Bref,
comme je sais si bien le faire. Et grand-mère de sa voix calme et
rassurante :
- Allons, allons ! Serait-ce un matin triste ma fille ?
Oui,
d'accord. Je le concède. Elle est assez vieux jeu sur le langage.
Des fois, si elle entendait mon bavardage mental, je crois qu'elle
s'en cognerait la tête contre les murs en hurlant « damnation »
! Après les spasmes de pleurnichements plaintifs et hargneux, au
choix, voilà que je m'assois face à mère-grand avec des yeux tout
ronds, comme une gamine de six ans. Je me croirais retombée dans
l'enfance.
- Grand-mère...c'est à cause d'un...d'un...
- D'un homme.
Je
replonge dans un sanglotement compulsifs, frôlant l'hystérie.
Grand-mère me fixe, la tête légèrement penchée sur le coté. Un
mélange de « pauvre petite chose stupide et naïve » et
de « je suis là, pour t'écouter pleurnicher sur ton
malheureux sort, moi qui ai tant vécu ».
- Il y a toujours un homme dans l'histoire ma petite. Toujours. Maintenant, il faut passer à autre chose. Il y en aura d'autres.
- C'est quoi ce conseil...
- De nos jours, les relations sont de courte durée.
- Grand-mère ! L'amour, le vrai avec un grand A existe toujours ! Je veux y croire.
- Tu souffriras. Moi aussi je voulais y croire. Et puis, je me suis fait une raison. Profite ma belle, tu es jeune, intelligente, dynamique. Tu plais énormément. Alors vas-y, fonce. Tu ne vas pas te lamenter sur un idiot, alors que l'arbre est encore plein de fruit mûrs et savoureux.
D'un
revers de manche de mon sweat gris, je m'essuie les yeux. Mais où
est-ce qu'elle va chercher tout ça ma mère-grand ? Des fruits mûrs
et savoureux...je rêve...Belle et dynamique? Là, j'hallucine
complètement. Mère-grand a-t-elle encore toute sa tête ? Soudain,
une lueur grave passe dans son regard. Je m'arrête de coasser, et
reprends mes esprits.
- La vie est courte ma petite. La majeure partie de la mienne est derrière moi. Toi, tu es encore neuve en ce bas-monde. Tu n'as pas le droit de baisser les bras, et de perdre une miette de ce que tu vis. Sur ce, viens prendre ton petit déjeuner ! Pour une fois que je vous rends visite, tu dois me faire cet honneur !
Il
fait gris. Le ciel est couvert. Mais je me sens étrangement calme.
Envahie par LA sérénité. C'est un temps à écouter du Zazie. Une
atmosphère douce, à la fois chaude et humide. J'apprécie ce petit
instant de repos, ce weekend en famille. Alors que lundi, je reprends
le boulot. Et oui...du haut de mes trente-deux ans, il m'arrive
encore de retomber au niveau d'une toute petite fille pleurant dans
les jupes de sa grand-mère.
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