lundi 2 avril 2012

Omission



Maman est allongée sur un lit d’hôpital. Le ventre boursouflé. Une césarienne qui n’a pas bien cicatrisée. Sa plaie, rouge, suinte. Dans un berceau transparent, un bébé pleure. Moi. Une petite boule, violette.
Maman veut se lever, me prendre dans ses bras. Mes cris l’empêchent de dormir. Elle a peur pour moi. Elle se redresse. La douleur est trop intense. Elle renonce. Je continue à geindre.
Ma naissance se déroule sans aucune intimité dans cet hôpital. Je sais que maman s’est senti humiliée. Le docteur était accompagné d’un troupeau d’internes.
Après l’accouchement, elle leur a donné mes trois prénoms : un pour le père, un pour la mère, et l’usuel, celui qu’on me fera répéter à chaque rentrée des classes.
Des kilomètres plus loin, mon oncle. Il emploie le mot « bâtard », « illégitime », « honte ». Il n’est pas content. Le ton monte. Il crie. Un homme en face de lui, tient un bouquet de fleurs dans ses mains. L’homme est silencieux. Il aimerait venir me voir. Il aimerait parler avec Maman. Mais l’oncle l’en empêche.
Alors l’homme part. Il jette le bouquet dans une poubelle. Maman attendra sa visite. Mais maman ne le verra pas dans cet hôpital.
L’homme dégluti. Il a fait avorter sa femme, ironie du sort, il se retrouve avec un enfant adultère.
Dans la chambre, nous sommes quatre. Maman, moi, une folle et son rejeton. Maman n’aime pas cette femme qui s’accroche aux barreaux du lit en hurlant à la mort lorsqu’elle reçoit des visiteurs, et qui lance des malédictions à tout va.
En catimini, grand-mère et une tante m’apportent des biberons de tisane. J’aime entendre les battements de leurs cœurs lorsqu’elles me serrent contre leurs poitrines. J’aimerais que ça dure plus longtemps, mais il faut faire vite. Il faut tout cacher, les infirmières ne veulent pas qu’elles me donnent quoique ce soit provenant de l’extérieur.
La plaie de maman s’aggrave. Elle doit rentrer à la maison. Je pleure encore. Je ne supporte pas le froid du berceau. Je me sens seule. Maman aimerait que je sois auprès d’elle. Mais elle ne peut toujours pas me prendre dans ses bras.  
La maison de grand-mère est grande. Trop grande pour des femmes seules, et un bébé. Maman ne bouge plus. L’infirmière grimace lorsqu’elle soulève le linge. Maman lui dit « C’est pas joli hein ? ». Il faut du temps. Maman guérit. Son ventre sera barré d’une grande cicatrice chéloïde, à vie.
Jusqu’à mes vingt-ans, je ne savais de ma naissance, que les mots « césarienne », « cicatrice », « violette ». Et comme un pavé dans la mare, j’ai découvert par inadvertance, ou plutôt après un dérapage, que certains éléments sont omis.
Eléments qui auraient sans doute changé le cours de mon adolescence.

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