Maman est allongée sur un lit
d’hôpital. Le ventre boursouflé. Une césarienne qui n’a pas bien cicatrisée. Sa
plaie, rouge, suinte. Dans un berceau transparent, un bébé pleure. Moi. Une
petite boule, violette.
Maman veut se lever, me prendre dans
ses bras. Mes cris l’empêchent de dormir. Elle a peur pour moi. Elle se
redresse. La douleur est trop intense. Elle renonce. Je continue à geindre.
Ma naissance se déroule sans
aucune intimité dans cet hôpital. Je sais que maman s’est senti humiliée. Le
docteur était accompagné d’un troupeau d’internes.
Après l’accouchement, elle leur a
donné mes trois prénoms : un pour le père, un pour la mère, et l’usuel,
celui qu’on me fera répéter à chaque rentrée des classes.
Des kilomètres plus loin, mon
oncle. Il emploie le mot « bâtard », « illégitime »,
« honte ». Il n’est pas content. Le ton monte. Il crie. Un homme en
face de lui, tient un bouquet de fleurs dans ses mains. L’homme est silencieux.
Il aimerait venir me voir. Il aimerait parler avec Maman. Mais l’oncle l’en
empêche.
Alors l’homme part. Il jette le
bouquet dans une poubelle. Maman attendra sa visite. Mais maman ne le verra pas
dans cet hôpital.
L’homme dégluti. Il a fait
avorter sa femme, ironie du sort, il se retrouve avec un enfant adultère.
Dans la chambre, nous sommes
quatre. Maman, moi, une folle et son rejeton. Maman n’aime pas cette femme qui
s’accroche aux barreaux du lit en hurlant à la mort lorsqu’elle reçoit des
visiteurs, et qui lance des malédictions à tout va.
En catimini, grand-mère et une
tante m’apportent des biberons de tisane. J’aime entendre les battements de
leurs cœurs lorsqu’elles me serrent contre leurs poitrines. J’aimerais que ça
dure plus longtemps, mais il faut faire vite. Il faut tout cacher, les
infirmières ne veulent pas qu’elles me donnent quoique ce soit provenant de
l’extérieur.
La plaie de maman s’aggrave. Elle
doit rentrer à la maison. Je pleure encore. Je ne supporte pas le froid du
berceau. Je me sens seule. Maman aimerait que je sois auprès d’elle. Mais elle
ne peut toujours pas me prendre dans ses bras.
La maison de grand-mère est
grande. Trop grande pour des femmes seules, et un bébé. Maman ne bouge plus.
L’infirmière grimace lorsqu’elle soulève le linge. Maman lui dit « C’est
pas joli hein ? ». Il faut du temps. Maman guérit. Son ventre sera
barré d’une grande cicatrice chéloïde, à vie.
Jusqu’à mes vingt-ans, je ne
savais de ma naissance, que les mots « césarienne »,
« cicatrice », « violette ». Et comme un pavé dans la mare,
j’ai découvert par inadvertance, ou plutôt après un dérapage, que certains
éléments sont omis.
Eléments qui auraient sans doute
changé le cours de mon adolescence.
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