lundi 2 avril 2012

Poussière, livres et escalier.


J’insère la clé dans la serrure. Lumière. Je vois mon reflet dans le miroir. Le fameux miroir...Un grand morceau de verre planté en plein milieu du hall d'entrée. Une maison. Un peu ma maison. Mais pas tout à fait. Elle m'a vu grandir. Elle m'a vu pleurer, rire, jouer, me bagarrer.

En ouvrant les portes ce matin, je me suis dit « c’est la dernière fois ». Un dernier rendez-vous avec une très, très, ancienne connaissance. Une visite teintée d'une note de grisaille et de volutes poussiéreux, ma foi. Le mot d'ordre, « prendre tout ce qui t'intéresse » a dit la tante. « Il faut vider les lieux pour les nouveaux arrivants. »

Les nouveaux arrivants...Des gens vont vivre dans cette maison. Des gens que je n'ai jamais vus. Des gens qui ne savent rien de nous. De moi, de ma cousine courant de pièce en pièce, jouant à nous faire peur. De ma grand-mère regardant les vieilles télénovelas brésiliennes sur un canapé déplumé. De mes oncles fumant leurs cigares sur la terrasse, avachis dans de gros fauteuils, parfois accompagnés de ma mère.

Ils iront se laver les mains dans le lavabo en céramique bleu. Celui dans lequel je me trempais les cheveux pour faire croire à grand-mère que je m'étais lavée. Ils iront à l'étage, en empruntant l'escalier en bois, aux marches espacées dont les lattes craquent à chaque pas. Souvent, je m’imaginais rater une marche, tomber dans le vide. Ou voir l’escalier s’effondrer.

Cet escalier je les descendu sur les fesses un bon nombre de fois parce que je tremblais de peur. Ce même escalier je le monte à présent, serrant fermement la rambarde entre mes doigts. Encore hantée par de vieux démons.

A l'étage, une armoire, aux portes vitrées. Remplies de livres. Des pièces de théâtre, des romans photos, des collections entières d’histoire à l’eau de rose. Des générations différentes, oncles, tantes, cousins, y ont entassés leurs trésors. C'est ici que j'ai trouvé Dune de Frank Herbert, Peur bleue, mon premier Stephen King. C’est parti pour la razzia…

J'évite les collections « je t’aime, moi non plus », « pour toujours et à jamais mon amour », et autres « donne-moi ta main péronnelle, que je t’épouse ». Bon...allez...J'en prends deux ou trois que je montrerai à mes enfants. Je me vois déjà : « Regarde les horreurs de l’ancien temps mon fils ! Aller va lire ton Werber ».

J’enfourne la collection de Strange dans mon sac. Comment partir sans les bds has been que ma mère lisait à quinze ans ? Impossible ! Que je sois damnée si je les abandonne en d’autres mains. Un petit livre de dicton par-ci, un petit Balzac par-là, une demi-douzaine de bouquins plus tard…

Petit baluchon est devenu bien gros, et un peu trop lourd pour mes frêles épaules. Hors de question de le remettre sur mon dos pour descendre les « escaliers démoniaques ». Je prends mon courage à deux mains, et traîne mon sac, marche après marche, en soufflant bruyamment. Je me croirai dans un mauvais cartoon.

Le périple parvenu à sa fin, je jette le baluchon sous le porche. Après un dernier regard en arrière, je referme les portes de LA maison. Je contemple mon reflet disparaissant petit à petit dans l’obscurité et la poussière. Je tourne la page sur un chapitre de ma courte existence.



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