J’insère
la clé dans la serrure. Lumière. Je vois mon reflet dans le miroir.
Le fameux miroir...Un grand morceau de verre planté en plein milieu
du hall d'entrée. Une maison. Un peu ma maison. Mais pas tout à
fait. Elle m'a vu grandir. Elle m'a vu pleurer, rire, jouer, me
bagarrer.
En
ouvrant les portes ce matin, je me suis dit « c’est la
dernière fois ». Un dernier rendez-vous avec une très, très,
ancienne connaissance. Une visite teintée d'une note de grisaille et
de volutes poussiéreux, ma foi. Le mot d'ordre, « prendre tout
ce qui t'intéresse » a dit la tante. « Il faut vider les
lieux pour les nouveaux arrivants. »
Les
nouveaux arrivants...Des gens vont vivre dans cette maison. Des gens
que je n'ai jamais vus. Des gens qui ne savent rien de nous. De moi,
de ma cousine courant de pièce en pièce, jouant à nous faire peur.
De ma grand-mère regardant les vieilles télénovelas brésiliennes
sur un canapé déplumé. De mes oncles fumant leurs cigares sur la
terrasse, avachis dans de gros fauteuils, parfois accompagnés de ma
mère.
Ils
iront se laver les mains dans le lavabo en céramique bleu. Celui
dans lequel je me trempais les cheveux pour faire croire à
grand-mère que je m'étais lavée. Ils iront à l'étage, en
empruntant l'escalier en bois, aux marches espacées dont les lattes
craquent à chaque pas. Souvent, je m’imaginais rater une marche,
tomber dans le vide. Ou voir l’escalier s’effondrer.
Cet
escalier je les descendu sur les fesses un bon nombre de fois parce
que je tremblais de peur. Ce même escalier je le monte à présent,
serrant fermement la rambarde entre mes doigts. Encore hantée par de
vieux démons.
A
l'étage, une armoire, aux portes vitrées. Remplies de livres. Des
pièces de théâtre, des romans photos, des collections entières
d’histoire à l’eau de rose. Des générations différentes,
oncles, tantes, cousins, y ont entassés leurs trésors. C'est ici
que j'ai trouvé Dune de
Frank Herbert, Peur bleue,
mon premier Stephen King. C’est parti pour la razzia…
J'évite
les collections « je t’aime, moi non plus », « pour
toujours et à jamais mon amour », et autres « donne-moi
ta main péronnelle, que je t’épouse ». Bon...allez...J'en
prends deux ou trois que je montrerai à mes enfants. Je me vois
déjà : « Regarde les horreurs de l’ancien temps mon
fils ! Aller va lire ton Werber ».
J’enfourne
la collection de Strange
dans mon sac. Comment partir sans les bds has been que ma mère
lisait à quinze ans ? Impossible ! Que je sois damnée si je
les abandonne en d’autres mains. Un petit livre de dicton par-ci,
un petit Balzac par-là, une demi-douzaine de bouquins plus tard…
Petit
baluchon est devenu bien gros, et un peu trop lourd pour mes frêles
épaules. Hors de question de le remettre sur mon dos pour descendre
les « escaliers démoniaques ». Je prends mon courage à
deux mains, et traîne mon sac, marche après marche, en soufflant
bruyamment. Je me croirai dans un mauvais cartoon.
Le
périple parvenu à sa fin, je jette le baluchon sous le porche.
Après un dernier regard en arrière, je referme les portes de LA
maison. Je contemple mon reflet disparaissant petit à petit dans
l’obscurité et la poussière. Je tourne la page sur un chapitre de
ma courte existence.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire